Version longue de ma tribune dans le Petit Web
Alors que le marketing et la communication reposent de plus en plus sur des dispositifs technologiques, je suis souvent surpris par la faible culture technique de certains professionnels du monde de la communication et du marketing, voire par le manque d’intérêt qu’ils y portent. Beaucoup ne veulent pas y mettre les mains, regardent cela de loin, avec même un peu de condescendance, et passent du coup à côté de l’essentiel : le « possible technologique ».
Je reviendrai plus loin sur ce que j’appelle le « possible technologique ». J’aimerais d’abord creuser la raison de ce manque d’intérêt. Pourquoi ce dédain vis-à-vis de la technologie ? Pourquoi parfois même autant de méfiance ?
Culturellement, la France, et plus globalement la culture « continentale » par opposition à la culture anglo-saxonne, a toujours séparé les lettres, arts et sciences humaines (dont la communication et le marketing) des sciences dures et a fortiori des technologies. Il suffit de regarder l’organisation des universités pour s’en rendre compte. La technologie est perçue soit comme quelque chose de mineur, réservé à des classes industrieuses, soit comme un artefact compliqué, voire dangereux, réservé à des ingénieurs froids ou à des geeks introvertis. De Socrate, qui considérait la « technologie » écriture comme un danger pour l’humanité, à Heidegger qui dénonçait la domination aliénante de la technologie, la plupart des intellectuels ont toujours tenu à distance la technologie pour des raisons plus ou moins idéologiques.
Pourtant, nous avons eu en France des Pascal, Condorcet, Poincaré, Bachelard, Queneau ou plus récemment Michel Serres qui ont allégrement mixé technologies, philosophie, littérature voire poésie. On se souviendra aussi qu’à l’époque de la Renaissance en Europe, les artistes comme les intellectuels avaient pour la plupart une forte culture scientifique et technologique. D’ailleurs, les sciences et les nouvelles techniques ont fortement bouleversé les arts et la culture au XV et XVIème siècles comme aujourd’hui. Pour mémoire, Léonard de Vinci a imaginé l’avion en analysant les oiseaux pour mieux parvenir à les peindre ensuite…
Si la technologie constitue bien le socle de la création culturelle contemporaine et a fortiori de la communication, pourquoi observe-t-on encore autant de défiance à son égard dans notre monde contemporain et notamment dans l’univers de la communication ?
Les anglo-saxons ont une expression pour exprimer la maitrise du digital et des pratiques numériques : digital literacy. C’est la capacité à utiliser et à exploiter les technologies numériques, voire, pour les plus orthodoxes, à coder ! La digital literacy est devenue une compétence indispensable pour comprendre et utiliser à bon escient les nouveaux outils numériques. Elle constitue un basique de la nouvelle culture comme jadis le grec et le latin pour les humanités ou de nos jours les mathématiques pour les sciences dures.
Publicitaires, communicants et marketeurs, la technologie, ce n’est pas sale ! Il n’y a certes pas les paillettes de la publicité et l’on y rencontre moins d’égéries, mais c’est juste là désormais que se concentre l’essentiel des « possibles » !
Le « possible technologique », c’est l’ouverture que les nouvelles technologies creusent dans le réel. C’est le langage sur lequel s’appuient les nouveaux créatifs pour dépasser l’impossible. Concrètement, sans le NoSQL et le MapReduce, pas de Google ; sans les protocoles WIFI et Blutooth, pas d’objets connectés ; sans le calcul stochastique, sans le calcul stochastique, pas de scores contextualisé permettant de personnaliser à la volée une page web ; sans le finger printing, pas de relation omnicale continue d’un touch point à un autre …. Bref, c’est le « comment » qui induit le « pourquoi » et non le contraire. C’est d’ailleurs un leurre typiquement « continental » de croire que le « pourquoi » est indépendant du « comment ». L’innovation technologique est structurellement liée aux conditions technologiques qui la rendent possible. N’oublions pas que les GAFA et autres licornes ont été créées par des ingénieurs qui ont réellement innové parce qu’ils avaient en tête le nouveau « possible technologique ». Les idées viennent aisément à l’esprit de ceux qui connaissent ce nouveau langage, son vocabulaire, sa syntaxe et sa pratique.
Aussi, une bonne compréhension des possibles technologiques me paraît indispensable pour adresser le marketing et la communication de demain a fortiori lorsqu’il s’agit de repenser l’expérience client dans sa globalité.
Or, c’est cette bonne compréhension de la technologie en amont qui va permettre la mise en place de l’organisation propice à la concrétisation des idées. Si aujourd’hui tant d’idées restent dans les cartons, c’est parfois par manque d’audace ou de budget. Mais souvent, l’échec dans la mise en œuvre des idées est le fait d’une organisation inopérante dans la gestion de projets où la technologie tient une place fondamentale.
La place réservée à la DSI est, à ce titre, intéressante. Le marketing et la DSI se parlent souvent sans se comprendre et il leur est dès lors difficile de coopérer. Les premiers n’ont pas de culture techno et les seconds ne sont pas assez au fait des contraintes métiers et de la finalité des projets sur lesquels ils travaillent. Or, les entreprises qui réussissent sont précisément celles qui savent le mieux opérer des projets transversaux, celles où marketing et DSI créent de concert des dispositifs marketing connectés au SI de l’entreprise.
Tout comme il est nécessaire que les ingénieurs s’imprègnent des problématiques métiers et comprennent le sens des dispositifs technologiques qu’ils développent, il est impératif que les marketeurs et les communiquants sachent de quoi ils parlent lorsqu’ils managent des projets techno-marketing. Qu’ils maitrisent les contraintes et surtout les possibles propres aux technologies et à la gestion de projet transversaux complexes.
Cela impose des changements fondamentaux :
- dans la définition des profils et la formation des marketeurs et des communicants (Culture hybride techno-marketing indispensable… Pourquoi pas d’ailleurs favoriser la digital literacy durant toute la formation initiale avec l’apprentissage du codage dès le primaire et terminer par des workshops de Growth Hacking en écoles de commerce !) ;
- dans la mise en place de nouvelles méthodologies de créativité type design thinking mixant sciences humaines, planning stratégique, data sciences, UX et creative technologie ;
- dans la sollicitation de nouveaux partenaires, eux-mêmes engagés dans ce changement, qui apporteront ces nouvelles expertises (cabinets conseil, SSII, voire des agences hybrides qui ont réellement intégré le techno-marketing) ;
- et surtout, une démarche qualité pour les projets : définition et suivi d’indicateurs pertinents, timing, phasing rigoureux (expression de besoin aboutie, spécifications précises, …), et des étapes de préparation et de vérification (de l’étude de faisabilité à la recette).
Mais c’est avant tout à une véritable révolution culturelle qu’il convient d’arriver. Il faut que le regard des communicants et des marketeurs sur la technologie et la data change de manière radicale. Il leur faut comprendre qu’il est désormais impossible de PENSER et de CREER un dispositif marketing sans intégrer dès l’amont le « coté IT », sans en comprendre de manière claire les enjeux, les possibles et les limites.
Les projets de demain seront techno-marketing et transversaux ou ne seront pas…