Ma tribune dans le magazine Stratégies de ce jour.
Je partage beaucoup de convictions avec ce que dit Marco Tinelli, notamment sur le constat qu’internet va nous obliger à trouver d’autres modèles marketing c’est-à-dire évidemment d’autres manières d’envisager la relation entre la marque et les consommateurs, mais aussi de nouvelles formes d’organisations au sein des entreprises, de nouveaux modèles d’agences et surtout une nouvelle organisation du marché lui-même de la communication.
Sa critique du conservatisme actuel du marché publicitaire est cinglante mais elle est exacte. Entre ce que pourrait amener dès aujourd’hui une exploitation intelligente des possibles du marketing digital et les pratiques actuelles, il y a un écart ahurissant a fortiori dans le contexte actuel.
Je partage également sa conviction qu’il n’est plus possible aujourd’hui de penser et de pratiquer le marketing et la communication sans comprendre et maitriser profondément les technologies. Pour Marco Tinelli, le marketing sera demain de plus en plus automatisé, piloté en fonction d’algorithmes optimisant sans cesse à la fois la connaissance client, l’achat d’espace et donc le rendement des campagnes. Ce sera un marketing en temps réel dans lequel la maitrise des data sera la clé de toute réussite possible.
J’adore enfin certaines envolées critiques telles que : « Les créatifs qui ne sont pas suffisamment curieux pour s’intéresser à la technologie sont tout simplement inutiles dans l’ère digitale » ou encore « A l’ère digitale, une agence sans ingénieurs est comme un avion sans moteur ».
Pour autant, je ne souscris pas à un certain jusqu’auboutisme qui aboutit parfois à un réductionnisme technologique. Pour Marco Tinelli, « l’expérience de marque est la marque » et les discours publicitaires deviennent quasiment inutiles. Les consommateurs en ont marre du blabla publicitaire. Il faut passer du Dire au Faire, des discours aux actes. Je partage évidemment la conviction que l’entreprise ne peut plus aujourd’hui se contenter de raconter des fables, qu’elle doit aller plus loin que le Dire et être dans le Faire, c’est-à-dire apporter des preuves et concrétiser son positionnement par des services réels. Pour autant, je pense que ce n’est pas l’un OU l’autre mais l’un ET l’autre. Bref, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain.
Certes les consommateurs veulent des preuves, des services et de la valeur d’usage. Certes les annonceurs sont allés trop loin dans les promesses fumeuses et les messages métaphysiques. Mais la marque ne peut être réduite à un ensemble de contacts automatisés et synchronisés ou à une machinerie d’interactions cross-canal. Quand Marco écrit « A l’ère digitale et de l’omniprésence des données, le rôle du planeur stratégique est obsolète », ou encore « La conception et la production de création sont une commodité », je ne partage plus vraiment. Les publicitaires, en bons platoniciens, ont réduit la marque à un pur discours. Marco Tinelli, en bon cartesien (en bon Centralien), tend parfois à réduire la marque à un ensemble abstrait d’action-réactions, à une expérience client certes, mais dénuée d’imaginaire. Il parle du sens mais c’est un sens réduit à sa plus simple expression utilitariste et fonctionnelle.
Or je pense qu’il y a encore de la place pour une part de rêve et d’imaginaire dans le sens de la marque. Mieux, je pense qu’à l’ère digitale, c’est-à-dire à l’ère de Facebook, YouTube et des autres media sociaux, la marque a plus que jamais besoin d’être une aspiration partagée, de donner à vivre un imaginaire collectif et d’engager les consommateurs dans le bon sens du terme. La marque de demain sera avant tout un style et une manière d’être : ouverte, ludique, transparente, humble et à l’écoute. Elle évitera les artefacts marketing qui cherchent à enfumer le consommateur mais elle ne sera pas non plus un simple algorithme. Elle sera avant tout associée à une communauté d’acteurs collaborateurs et/ou consommateurs qui donneront à la marque sa vocation, son dynamisme et sa légitimité.
Bref, en bon pragmatique, je pense que les marques doivent intelligemment associer DIRE ET FAIRE. D’ailleurs, comme le disait le linguiste John Austin : « Dire, c’est Faire ». Le symbolique apporte non seulement de l’âme et du sens mais aussi de la puissance et du changement. Je pense que Marco Tinelli le sait aussi, et le radicalisme de son discours est à la mesure des enjeux et des freins que le conservatisme du marché met en œuvre. En effet, le modèle traditionnel de la publicité est aujourd’hui dominant et bien souvent méprisant vis-à-vis de la révolution en cours et à fortiori vis-à-vis des agences qui ont déjà intégré cette révolution. Je pense néanmoins qu’il ne faut pas passer d’un excès à un autre, d’une vision romantico-mystique de la pub à une idéologie mécaniste et fonctionnelle du marketing.
Pour le reste, je conseille sincèrement la lecture de cet ouvrage : il ouvre le débat sur l’avenir de nos métiers d’une manière inédite. Il fourni des esquisses de solutions qui peuvent permettre aux annonceurs et aux agences de mieux comprendre et agir au sein de l’ère digitale. Surtout, il donne de l’envie et de la motivation car en définitive, tout reste à faire. Donc, comme l’exprime très bien Marco, « Just Fucking Do It ! ».
