Toutes les disciplines et les savoir-faire se construisent en cherchant à atteindre un mythe, à réaliser un fantasme. Mais elles parviennent à leur maturité le jour où elles déconstruisent ce mythe fondateur. Lorsqu’elles comprennent que l’idée qu’elles poursuivent n’est ni réaliste, ni fondée. L’alchimie a permis l’avènement de la chimie, mais la chimie n’est devenue une science que lorsqu’elle a compris et acceptée qu’elle ne transformera jamais le plomb en or.
Le marketing et la publicité aurait beaucoup à gagner à étudier ces grandes leçons de l’histoire des sciences. Lorsque l’on voit émerger des pseudo-disciplines comme le neuromarketing, on peut en tout cas sérieusement se poser la question. Certes, les neurosciences ont fait des progrès fantastiques ces 30 dernières années et l’on peut aujourd’hui expliquer de nombreux phénomènes comportementaux en étudiant le cerveau, sa physiologie, sa biologie et l’ensemble de son système. Mais j’avoue avoir du mal à comprendre l’intérêt d’exploiter ces techniques coûteuses pour comprendre pourquoi tel message est meilleur qu’un autre ? Pourquoi telle image conditionne telle réaction ? Pourquoi telle communication suscite telle émotion ? Il faut vraiment que les annonceurs ne sachent pas comment utiliser leur budget pour en arriver là ! Et je ne crois pas que cela soit le cas en ce moment…
Les consultants en mal de business et les pseudo-agences en mal de créativité ont donc inventé une nouvelle discipline : le neuromarketing. On en a connu d’autres. Les études publicitaires se sont enrichis avec l’apport de multiples disciplines telles que la sociologie, la sémiologie ou encore la psychanalyse. Des sciences humaines à la mode dans les années 70-80. Dans les années 90, on a eu la psychologie sociale et le datamining. Depuis les années 2000, les sciences cognitives sont devenues le paradigme sur la base duquel toute explication comportementale qui se veut scientifique doit se baser. Pourquoi pas ! Je ne suis pas un spécialiste en épistémologie des sciences de l’homme…
Mais un peu de bon sens doit nous permettre de garder un minimum de sens critique face à ce rationalisme new-âge. On ne peut pas réduire la perception d’un message et le comportement qu’il conditionne à un flux neuronal. Tout comme aucune étude scientifique n’a encore réussi à comprendre pourquoi on tombe amoureux d’un tel et non d’un autre, aucun IRM n’expliquera pourquoi j’aime les Danettes billes et ses publicités et non les Yaourts Marques Repères. Mes goûts et mes choix sont le fruit d’une histoire personnelle, de l’appartenance à une culture et à une famille, des marques et des produits que j’ai goûté, des codes et des valeurs dans lesquels je me reconnais et du budget que je m’accorde pour acheter des yaourts. Mes goûts et mes choix ne sont pas explicables par la représentation d’un flux électrique dans mon cerveau.
Ce que peuvent montrer les IRM et les EEG, c’est la zone de cerveau activée, ce sont les neurones électrisés, c’est la mécanique subtile du réseau de neurones en fonctionnement, c’est le quoi, éventuellement le comment. Mais cela n’est en aucun cas le pourquoi. On décrit, on n’explique pas. On comprend encore moins. Pire, on réduit, on simplifie, on appauvrit, on plaque un prisme mécaniste qui efface toute la richesse de ce qui se passe.
Au-delà de la validité scientifique d’un tel procédé, c’est sur sa valeur ajoutée marketing que l’on peut réellement s’interroger. Les quelques études neuro-marketing qui ont été publiées ne délivrent rien d’autres que des banalités qu’un étudiant en première année du CELSA aurait très bien pu rédiger. Rien de révolutionnaire sinon la caution de l’IRM !
Le fantasme marketing par excellence, la pierre philosophale du publicitaire, c’est ça, c’est cette volonté irrationnelle de rationalité. A force de vouloir comprendre sur des bases « scientifiques » le comportement du consommateur, on en vient à simplifier le phénomène et à oublier l’essentiel : la créativité et son efficacité.
Je comprends qu’en période de crise, de complexité et d’incertitude, il nous faille trouver de nouveaux repères pour nous guider dans la nouvelle jungle du consommateur et du marché. Mais de grâce, que l’on nous épargne ces nouvelles utopies qui n’ont d’autres buts que de suppléer à la peur de prendre des risques et au manque de créativité généralisé !
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