Voici pour commencer l'année un texte qui synthétise le contenu de ce blog et les convictions que je partage avec de plus en plus de professionnels du marketing. Ces 12 propositions sont ouvertes, elles ne sont pas exhaustives de ce qui se passe aujourd'hui dans nos métiers très chahutés. J'accueillerai avec plaisir vos remarques, ajouts et critiques. L'idée est bien de faire évoluer ce texte. C'est un premier jet, la V1.0 d'une réflexion sur le postmarketing, le marketing de demain.
Le texte avec ses références et nombreuses notes de bas de pages (j'ai gardé quelques réflexes de la galaxie Gutenberg) est téléchargeable ICI en PDF.
Très bonne année 2011, bonne lecture et merci d'avance pour vos retours !
Postmarketing
12 propositions pour mieux appréhender le marketing en 2011 !
1/Le digital sera partout !
Le digital s’insère partout. La multiplication des écrans dans les lieux publics et dans nos poches, la démocratisation des terminaux mobiles connectés à internet, la propagation des flux (Wifi, RFID…), l’internet des objets, tout cela participe à l’émergence d’un monde dans lequel le digital est omniprésent, voire omnipotent.
2/La distinction On / Off sera caduque.
Au niveau du marketing et de la communication, la distinction traditionnelle du on et du off n’a plus de sens. Tout est dans tout. Les campagnes sont de plus en plus cross-media et cross-canal : une publicité TV renvoie vers un site web qui lui-même renvoie vers des points de vente physiques dans lesquels on se check via Place pour gagner des Facebook credits… Internet ne sera plus un arrière-monde déconnecté du réel. Tout comme les pure-player ouvrent des points de vente physiques, internet s’incarnera dans la brique et le ciment. Le virtuel se réalisera et/ou le réel se virtualisera.
3/Les campagnes de communication deviendront des hypertextes multi-support.
Au sein des campagnes cross-canal, le réseau de renvois d’un support à un autre constitue un hypertexte qui associe des éléments du réel et du virtuel. Dans cet hypertexte, les liens peuvent être incarnés par un mobile tag (QR code), un flux Bluetooth, une puce RFID, un tag de réalité augmentée, un point GPS ou un lien HTTP traditionnel sur un écran. Cet hypertexte cross-canal constituera la structure sous-jacente des campagnes marketing de demain. L’objectif sera d’offrir aux consommateurs des possibilités de navigation multi-support inédites et ludiques. Ces jeux de piste emprunteront beaucoup aux jeux vidéo, voire aux jeux de rôle . Le consommateur y retrouvera d’autres consommateurs. Ensemble, ils feront vivre la campagne en jouant avec les items qui la composent (images, sons, vidéo, widgets, applications, etc.), en associant ces items entre eux pour en créer de nouveaux et/ou en imaginant d’autres liens hypertextes.
La marque elle-même, mais nous y reviendrons, devra se penser comme un hypertexte dans lequel les consommateurs navigueront en fonction de leurs attentes, de leurs profils et des règles du jeu que la marque aura imaginées.
4/La marque sera ce qu’en disent les gens !
Les grands media se dissolvent dans un océan de bruit informationnel multi-support. L’audience est hyper-fragmentée. Les conversations des internautes constituent en soi des media voire des marchés . La majeure partie des décisions des consommateurs sont désormais prises à partir d’informations provenant soit d’une recherche sur Google, soit d’avis d’autres consommateurs recueillis via sa communauté. Dans les deux cas, la marque devient en définitive ce qu’en disent les internautes ! La marque n’est plus ce grand récit colporté par les messages publicitaires multimédia. La marque échappe d’une certaine manière au contrôle de l’annonceur et passe dans les filets d’un « qu’en dira-t-on » digital planétaire.
Les petites marques se multiplieront autour de communautés partageant les mêmes affinités. La plupart de ces marques seront éphémères et évènementielles. Quelques grandes marques internationales résisteront mais seront souvent attaquées par des communautés d’activistes (consuméristes, alter mondialistes, écologistes, etc.).
5/La relation sera constitutive de l’image de la marque.
Dans un monde où les consommateurs joueront un rôle primordial dans la construction et la vie des marques, une marque qui ne saura pas maîtriser son dialogue avec ses différents publics prendra des risques considérables. Il deviendra alors essentiel pour les annonceurs de mettre en place des dispositifs d’écoute, de relais et d’animation clients. Ces dispositifs permettront à la marque de savoir ce qui se dit sur elle mais aussi et surtout de donner aux clients et autres contacts la possibilité d’interpeller la marque notamment à l’occasion d’une insatisfaction.
Avant qu'un internaute ne déverse sur le net toutes les raisons qu'il a de déconseiller un produit ou un service, il émet un nombre considérable de signes et de messages qu'il appartient à la marque de recueillir et de traiter. Que cela soit directement en boutique auprès d'un vendeur, au téléphone, par email ou surtout via les réseaux sociaux, ces insatisfactions doivent être traitées de manière personnalisée, transparente et bienveillante.
La relation est un dialogue interactif empathique, personnalisé, séquencé, durable, basé sur la confiance entre la marque et ses consommateurs. Côté client, c’est aussi et surtout la satisfaction d’une attente et/ou la résolution d’une frustration. Bref, c’est en écoutant et en satisfaisant les consommateurs, en les chouchoutant et en les touchant via de petites attentions que les marques de demain se donneront les moyens d’avoir une bonne image sur le net, donc une bonne image tout court ! La relation sera constitutive de l’image de la marque.
6/C’est le consommateur qui pilotera sa relation aux marques
Avec le CRM, la marque identifie, anime et gère sa relation client. Le CRM sera fondamental dans le marketing de demain. On l’a vu, il participera même à la construction de l’image de la marque. Pour autant, tout n’est pas gagné. En effet, internet permettra également aux consommateurs d’avoir leurs propres outils de relation aux marques. C’est le VRM (Vendor Relationship Management).
Le VRM retourne comme un gant le CRM. Avec le VRM, c’est le client qui gèrera sa relation avec les marques. Il fera le tri entre les marques qu’il aime et les autres. Il déclarera ses centres d’intérêts pour éventuellement être abordé par certaines marques qu’il ne connait pas. Il se protègera de l’intrusion publicitaire. Grace à l’avènement du web sémantique , il formulera des demandes de services ou de produits sur des dispositifs qui rechercheront automatiquement les meilleures offres pour lui. Il s’insèrera dans un réseau de communautés pour échanger de bons tuyaux. Pour les marques dont il est le plus fan, il jouera avec les autres fans à la co-construction de l’hypertexte de la marque. Les plateformes VRM vont se multiplier dans les années qui viennent permettant de structurer et d’organiser le nouveau pouvoir du consommateur.
7/Le client va disparaître
Dans le marketing de demain, le client en tant que concept opératoire va s’effacer au profil de la notion simplifiée de « contact ». Le contact peut être un client, un prospect, un suspect, un leader d’opinion, un bloggeur, un journaliste, un collaborateur de l’entreprise, etc. Le client ne se sera plus qu’une sous-catégorie des contacts, un segment spécifique à traiter avec empathie, mais un contact parmi d’autres. Ce que l’on fait aujourd’hui avec le client (CRM), il faudra désormais le faire avec tous les contacts. Il faudra donc étendre le périmètre du CRM à l’ensemble des contacts de l’entreprise.
Le contact peut être anonyme, identifiable uniquement par un login et un mot de passe, voire un cookie. Il ne correspond donc pas forcément à une personne physique bien identifiée mais à un masque que le contact voudra bien présenter à l’entreprise dans sa relation avec elle. La gestion de ces contacts sera primordiale dans la construction de l’image et de la réputation des organisations .
8/Les marques devront avoir une vision à 360° autour des contacts
L’exigence consumériste de satisfaction, de réactivité, de cohérence, de sécurité et de transparence sera renforcée. La gestion des données sera donc la clé d’une relation réussie avec les contacts. En effet, l’émergence d’une société numérique hyper-connectée imposera aux annonceurs une connaissance fine de leurs contacts, une historisation de chacun des échanges entrants et sortants et une synchronisation de l’ensemble des canaux de relation. Bref, la gestion de la connaissance contact sera au centre de l’ensemble des dispositifs du marketing relationnel de demain. Le lien entre la gestion des données et la production des messages multicanaux sera de plus en plus fort pour des raisons de réactivité, d’efficacité, d’automatisation et de coût. Au cœur du système et quel que soit le canal utilisé pour diffuser le message, le maître du jeu sera celui qui maîtrisera la connaissance contact !
9/Les frontières de l’entreprise seront indéterminées
Les limites entre les contacts internes et externes de l’entreprise deviendront de plus en plus complexes et il y aura autant voire plus d’ambassadeurs de la marque à « l’extérieur » de l’entreprise qu’en « interne ». Pour autant, il y aura aussi des représentants de « l’externe » au sein même des organisations. Ces représentants seront chargés d’animer les communautés de contacts « externes » et de dialoguer avec eux.
Les flux entre l’interne et l’externe deviendront de plus en plus nombreux, multicanaux, en temps réel et publics (transparence). L’indétermination de cette frontière sera structurante : elle donnera aux entreprises une capacité d’écoute inégalée et des moyens d’actions bien plus puissants que les vieux media de masse.
Au niveau organisationnel, cette indétermination va de pair avec la nouvelle organisation du travail : statuts multiples des salariés et multiplication des contrats avec des free-lances.
10/La marque sera une utopie
La marque porteuse d’une vision du monde, support d’un grand récit , va disparaître au profil de marques ludiques, profondément ouvertes et engagées. Les marques ne doivent plus apporter une vision du monde et donner à voir un système de valeurs. Elles ne doivent plus être des donneuses de leçons… elles ne sont plus crédibles ! Au contraire, elles devront permettre aux nouveaux consommateurs de jouer avec elles. La marque deviendra un « lieu » virtuel et hypertextuel d’échange, de dialogue et de partage de valeurs. C’est la naissance de la « marque utopie ». Utopie comme non lieu (u-topie) et comme lieu idéal (eu-topie) vers lequel doit tendre la communauté des contacts fans de la marque.
Le défi principal pour les marques sera d’accepter une certaine perte de contrôle de leur image : c’est le « jeu » dans le sens du « il y a du jeu », c'est-à-dire une marge de liberté, un défaut de serrage. Cette perte de contrôle ne sera pas totale : comme dans tout jeu, il y aura un « terrain de jeu » et des « règles ». Les marques pourront garder la maîtrise de leur périmètre au travers de la mise en place de plateformes spécifiques suffisamment ludiques et surtout riches en éléments d’attraction (items-composants de la marque). Elles devront apprendre à animer et à manager les consommateurs-auteurs-fans les plus actifs de ces plateformes. Des structures spécifiques devront être mises en place au sein des organisations pour dialoguer et échanger avec ces activistes pro-marque.
Du coup, le travail des agences sera lui aussi profondément modifié : les agences travailleront davantage sur la mise en place de ces plateformes (inventer les « règles du jeu », scénariser des actions cross-canal, identifier les premiers « activistes », concevoir et animer l’hypertexte de la marque…) que sur la création de messages sensés exprimer les valeurs et l’histoire de la marque.
Cette utopie, ce non-lieu, sera le terrain de jeu des consommateurs-auteurs-fans de la marque. Les grandes marques de demain seront celles qui seront assez riches, transparentes, ouvertes, généreuses et sûres d’elles-mêmes pour favoriser l’émergence de ces dialogues !
11/L’avènement de la transparence
La transparence deviendra une valeur essentielle dans ce monde hyper-connecté. Cela ne veut pas dire que la confidentialité et la vie privée vont disparaître mais leurs contenus et leurs frontières vont être profondément bouleversés.
Les wikileaks vont se multiplier et concerner demain toutes les organisations (organisations gouvernementales, entreprises, associations, artisans, médecins …) et ensuite les individus !
Les entreprises doivent se préparer à des révélations et à des attaques sans précédent qui auront un impact proportionnel à leur notoriété. La puissance des marques se mesurera alors à leur capacité à mobiliser leurs communautés de contacts dans la défense de leur image et/ou à leurs capacités à défendre leurs engagements via des preuves tangibles, concrètes et partageables.
12/ Le marketing devra être au service de la communauté
Le marketing n’est pas mort, mais nous devons comprendre que ses fondements sont bouleversés et qu’il faut repenser ses méthodes voire ses objectifs.
Tout comme d’autres disciplines en leur temps, il est nécessaire de repenser le marketing sur des bases nouvelles en rupture avec les anciens concepts. Du coup, l’objet du marketing de demain sera moins la marque ou le client que la relation entre les deux. Cette relation ne sera plus verticale et à sens unique mais horizontale et interactive. Cette relation ne sera plus basée sur les media de masse mais sur des réseaux plus ou moins autonomes. Cette relation ne sera plus linéaire mais hypertextuelle. La relation primera sur la marque. La marque comme utopie fédérera une communauté et c’est cette communauté qui animera et fera vivre la marque. C’est la communauté qui rendra possible la marque, elle fera et/ou sera la marque.
Les objectifs mêmes du marketing seront sans doute remis en cause ! Il est fort probable que le nouveau pouvoir conféré aux consommateurs, eux-mêmes citoyens, parents et terriens responsables, va sans doute faire évoluer les objectifs premiers du marketing (rentabilité, part de marché…). La montée en puissance des valeurs liées au développement durable aura sans aucun doute des répercussions fondamentales dans la politique des entreprises et dans leur stratégie marketing. Le marketing devra intégrer dans ses pratiques réelles des valeurs telles que le respect, la confiance, la transparence, le durable, l’empathie et l’humilité.
Le marketing devra être au service de la communauté et non plus uniquement de l’entreprise et de ses marques. Ou plutôt, pour que la marque « fonctionne », pour que l’entreprise vende, le marketing devra avant tout être au service de la communauté de la marque. Le marketing prendra donc une dimension politique dans le sens noble du terme. Les marques fédéreront des communautés qui constitueront comme des « cités » virtuelles auto-organisées et auto-régulées.
Plus que jamais, le marketing doit vivre sa révolution copernicienne : la marque n’est plus le soleil autour duquel doivent tourner les consommateurs enchaînés par les mass media. C’est désormais la communauté qui est au centre. Il n’y a d’ailleurs plus un seul centre, mais plusieurs, interconnectés les uns aux autres. Un individu participera à une multitude de communautés en fonction de ses centres d’intérêt, de ses goûts et de son profil. Ce sont les individus qui constitueront les nœuds entre les différentes communautés. De son côté, le marketing devra donner à voir et à vivre des expériences cross-canal et sociales dont l’efficacité dépendra de sa capacité à « laisser faire », à donner du jeu, à laisser être.