Version longue de ma tribune dans le STRATEGIES du 5/11/2009.
Nous sommes le 23 février 2016, un acteur historique du e-commerce français vient de déposer son bilan. Société starisée à juste titre dans les années 2006-2008, ce pure-player est l’une des nouvelles victimes des réglementations liées à la protection des internautes. Après les multiples faillites des groupes français de presse entre 2012 et 2015, la disparition des VADistes multicanaux du nord de la France dans les années 2014-2015, c’est au tour des e-commerçants de subir de plein fouet la législation sur la protection des données personnelles votée par le parlement européen fin 2010 et transposée très durement en France dès 2011.
Les premiers touchés furent les portails et les sites média. Incapables de fournir aux annonceurs des dispositifs de ciblage pertinents pour la diffusion de leurs publicités, les annonceurs ont préféré déposer leurs messages publicitaires sur des sites web étrangers en langue française. En voulant exploiter des formats légaux, plus percutants mais peu ciblés tel que les Pop-up, les internautes ont fui encore plus rapidement les médias digitaux français. Aucune formule d’abonnement payant n’ayant pu être mise en place, il en a découlé une perte des revenus liés à la publicité qui amena progressivement les sites à fermer les uns après les autres.
Puis ce fut le tour des VADistes. L’e-mailing étant, depuis déjà plusieurs années, complètement inefficace en raison de la saturation des internautes, ces sociétés se sont rapidement tournées vers la publicité comportementale pour recruter de nouveaux clients. Elles ont également très vite exploité les possibilités de la personnalisation pour optimiser le parcours client en fonction des goûts déclarés des internautes et surtout de leur comportement sur le site ou sur des sites partenaires. Toutes ces techniques n’ont évidemment pas survécu à la nouvelle réglementation. Le chiffre d’affaire des VADistes a fondu, les clients n’ont plus été séduits, l’arrivée d’offres ciblées pour les consommateurs français sur des sites e-commerce étrangers a fait le reste.
Aujourd’hui, c’est au tour des leaders du e-commerce de chavirer. Pourtant plus solides et plus réactifs, ils n’ont malgré tout pas réussi à surmonter les difficultés liées aux nouvelles règles.
Ce scénario catastrophe préfigure une société digitale dans laquelle la volonté des pouvoirs publics de protéger les consommateurs va en définitive à l’encontre de leurs attentes réelles. Certes, les internautes veulent moins de pub et moins d’e-mail. Certes, ils ont peur que leurs données personnelles soient exploitées de manière intrusive.
Pour autant, ils attendent aussi toujours davantage de bons d’achat, de bons de réduction ou de cadeaux. Ce que les internautes désirent avant tout, c’est que ces offres soient personnalisées. Ils veulent moins de messages en masse et plus de messages répondant à leurs attentes. Toutes les études le montrent, c’est surtout le manque de pertinence du message qui crée le sentiment de saturation…
Or, pour diffuser le bon message à la bonne personne au bon moment, nous (médias, portails, e-commerçants, agences, prestataires…) avons besoin d’identifier a minima l’internaute (ou du moins son navigateur…) et d’associer cet identifiant à un profil. Bref, nous avons besoin de mettre en place des dispositifs permettant d’historiser la relation avec nos lecteurs, visiteurs et clients.
Des échanges et des débats ont lieu en ce moment même en vue d’élaborer des projets de loi visant à protéger les internautes. C’est nécessaire, il faut éviter qu’Internet devienne un big brother au service d’une quelconque organisation privée ou publique. Cependant, certaines idées vont trop loin. Il est ainsi question « d’optiniser » les cookies. Les internautes devraient donner leur accord pour qu’un site web installe un cookie sur son PC. Les cookies sont de petits fichiers textes stockés par le navigateur web sur le disque dur du visiteur d'un site web. Ils servent (entre autres) à enregistrer des informations sur le visiteur ou encore son parcours dans le site. Sans ces cookies, il est impossible de personnaliser le parcours d’un internaute sur le web. Il est également impossible d’éviter qu’il ne voit pas 10 fois la même bannière publicitaire… Bref, tous les bénéfices apportés par le digital en terme d’interactivité et de personnalisation volent en éclats !
En voulant mettre en place des règlementations trop restrictives, nos législateurs mettent non seulement en danger notre fragile économie numérique, mais surtout la possibilité de répondre à cette attente ultime de tout consommateur : être RECONNU !
Cette reconnaissance est un service. Un service qui doit être simple, transparent et gagnant-gagnant. Un service qui ne doit pas être complexe ou intimidant comme le serait un énième formulaire demandant l’autorisation de déposer un cookie sur votre disque dur.
Lorsque vous entrez chez votre boucher, vous demande-t-il l’autorisation de voir votre visage ? De vous reconnaître ? De mémoriser vos mets préférés ?
Certes, il y aura toujours une partie des consommateurs qui préfèreront rester incognito. C’est possible : il suffit d’activer la navigation privée ou de désactiver les cookies. C’est encore un peu compliqué, il faudrait sans doute simplifier cette démarche plus que légitime.
Dans tous les cas, ce n’est pas en durcissant brutalement la réglementation que nous ferons avancer la société numérique mais en accompagnant les citoyens dans la compréhension de ces nouveaux dispositifs. Il faut faire œuvre de pédagogie, de transparence et de déontologie. A nous tous (médias, portails, e-commerçants, agences, prestataires…) de montrer que nous sommes capables de respecter nos chartes de déontologie et d’accompagner les consommateurs dans cette nouvelle relation client. Aux pouvoirs publics de comprendre que c’est en tout état de cause notre intérêt : nous sommes avec les consommateurs, pas contre eux… ou alors tout contre ;-)